Elle n'était contre personne, contre aucun ennemi, mais j'ai tout de même gagné une guerre. Je suis récemment rentrée victorieuse de la dernière bataille, la seule dont on peut dire, peut-être, que je l'ai menée contre un ennemi : le temps. En réalité, pour être honnête, je n'étais pas seule, car nous étions trois à gagner cette guerre ; trois à sortir, si ce n'est neufs, du moins renouvelés de cette histoire.

Pour la première fois, je crois, je n'ai pas envie de répéter que "ma vie a changé" (quelle vie ne change pas d'une année à l'autre, d'une semaine à l'autre, d'une heure à l'autre), mais plutôt que "je suis changée". Mon corps, mon coeur, ma tête, passés par les batailles de la grossesse et de l'accouchement : 9 mois à voir disparaître tout ce que je croyais de moi-même, presque en spectatrice émerveillée de ce phénomène.

Etre enceinte ne m'a jamais attirée. Voir des femmes enceintes me laissait soit indifférente, soit en état de gêne face à l'étalage d'un corps si étrange et monstrueux. De manière générale, tout ce qui est relié de près ou de loin à la grossesse, l'enfantement, les bébés, les gouzi-gouzous, me rebutait au point de toujours contourner le rayon bébés des supermarchés. Peur, souvenir de l'obsession de ma mère, gêne ou dégoût, je ne sais pas. Tant que ça ne parlait pas, ça ne m'intéressait pas et je ne savais pas y faire.

Je ne sais pas forcément mieux aujourd'hui, mais je me suis réconciliée avec les bébés et les femmes enceintes.

Plus que ça, sans aller jusqu'à dire que j'ai adoré les aigreurs d'estomac et le fait de devenir un corps public, c'était bien. J'ai aimé les coups dans le ventre, j'ai aimé la promesse que mon corps contenait, j'ai aimé l'évolution semaine après semaine, et le petit nez retroussé qui apparaissait aux échographies. Ce moment suspendu dans le temps qui n'appartenait qu'à Sebastian et moi.
L'accouchement fut le climax de ces neuf mois. 19 heures intenses, épuisantes et au final le premier cri (le premier d'une très longue liste, hum). "Le premier cri". La magie de ce moment m'a été révélée d'une façon si forte que j'ai découvert la proximité entre le bonheur et la violence. C'est ce cocktail de sensations et sentiments qui m'a permis ce moment de grâce. Le premier cri pour elle, une nouvelle naissance pour moi.

Je me suis réconciliée avec la beauté des premiers moments de la vie, la nouveauté chaque jour, les capacités d'apprentissage et d'émerveillement qui manquent si souvent aux adultes, et même l'animalité de cette petite chose qui ne comprend le monde qu'en terme de sensations. C'est même cette animalité qui me ravit, cet être qui ne communique que par le corps et ne ment pas, car le corps ne ment pas. La vérité brute qui se dégage de chacune de ses réactions est une invitation à continuer, est une manière d'appeler à la vérité de mon propre corps, celle enfouie depuis mon premier cri à moi.

Parce que dans le fond du fond du fond, ce que je retiens de la grossesse et l'accouchement, c'est l'appel à mon état préhistorique, prélangagier et bestial. The call of the wild, voilà ce qu'est une naissance : le retour aux fondamentaux et à l'essentiel.