Les vacances ont été tourmentées, mais j'aime encore répondre "ça a été" quand on me demande si elles étaient bonnes. En fait, je ne sais pas si "tourmentées" correspond à ce que j'ai en tête, parce que ce mot appartient au registre dramatique, loin de la réalité.

Peut-être que "contaminées" conviendrait davantage. Registre médical. Maladie, diagnostic, remède, guérison, doucement. Oui, ces vacances ont été contaminées. Elles ont été contaminées parce que je n'ai su faire barrage de mon corps entre l'angoisse, venue de l'année scolaire, et le repos qui était à présent mien. Je me suis ouverte aux quatre vents, me laissant submerger par des angoisses que je croyais loin de moi.
Au microscope, on aurait pu les observer les mignonnes. Moi je n'y ai vu que du feu, trop occupée à remercier quotidiennement tous les dieux imaginables de ne plus être en khâgne. Mais il fallait bien que ce corps éclate, j'ai dû exorciser mes peurs.

Ca tombe même bien, parce que la scène a ressemblé à L'Exorcisme, le Père Damien Karras en moins. En plein milieu de l'anniversaire de Matthieu, fin juillet, je me suis écroulée, vaincue par l'alcool et deux chansons qui m'ont ramenée à de mauvais souvenirs. Je garde un souvenir aigü de la scène, trop pour moi en tout cas. Les spasmes, le délire, les propos incohérents mais trop troublants pour être oubliés. J'aurais bien voulu mettre tout ce que j'ai dit sur le compte de l'alcool, mais celui-ci n'était pas pour grand-chose dans l'histoire. Les peurs me font comme l'acide sur le marbre.
Je me souviens avoir crié que je voulais ma mère. A la place, j'ai eu mes amis, et ça m'a aidée à me calmer. Ca, et la suite des vacances aussi.

This is the comfort of friends, that though they may be said to die, yet their friendship and society are, in the best sense, ever present, because immortal - There is a cure in the house

La suite, c'est le mois d'août et ses résolutions prises d'elles-mêmes. Je n'ai pas voulu me faire violence, je n'avais pas la force d'aller contre moi. C'est peut-être une mécanique d'auto-préservation qui s'est mise en route toute seule, tout simplement. Quand l'urgence a été de garder la tête hors de l'eau, sans le vouloir, j'ai écrit "Comment se reposer la tête et le reste Pour les Nuls", au fil des semaines d'août.
Il fallait faire le ménage : définitivement javelliser ma mémoire des personnes et des choses qu'un jour j'ai désirées, sans jamais y parvenir. Les souvenirs putrides, les amertumes périmées, j'ai oublié et excusé. C'est aussi passé par un vrai rangement, celui de ma chambre, où je n'avais pas déplacé un mouton de poussière depuis le début de l'hypokhâgne. En triant l'intégralité de mes affaires, 3 ans de prépa et 11 du reste, soigneusement conservées année après année, j'ai revu des photos, des mots, des fantômes. La température de mon corps n'a pas augmenté à leur vue, alors que j'ai si longtemps ragé contre Aurélia et Charlotte. Ardeurs tiédies, victoires.
Je me suis aperçue que je me suis enfin réconciliée avec les vagues du début de mon adolescence. Même Jennifer ou Antoine ont succombé à ce doux parfum de victoire sur les anciennes frustrations. Même la question Robinson.

Passer en pilotage automatique n'a pas servi qu'à me purger des souvenirs inutiles. Pendant deux semaines trop longues, j'ai dû me lever tous les matins pour aller travailler. La routine métro-boulot-ménage a fait partie du remède en vue de la guérison. En prise directe avec le réel, avec le monde, allô allô ici la terre, je n'ai pas fui. Trop souvent, j'ai trop facilement échappé au réel, aidée par 20 ans d'expérience du type "fille unique cherche occupation".
Et c'est peut-être ça, ajouté à mes heures de repassage et de ménage comme je n'en avais jamais faites, qui m'a définitivement fait passer de l'autre côté du miroir. Je ne dis pas que mes jours sont devenus suuuuuper merveilleux, beaux, magnifiques, géniaux. Je n'aurais pas supporté le choc de passer d'un extrême à l'autre.

J'ai juste mis une pincée de réalisme. Celle qui a signé un acte de décès. L'adolescence.
Si elle revient, ce sera sous une autre forme, mais alors elle ne méritera plus de porter son nom. Ca fait des semaines que je n'ai pas été l'adolescente, en tout cas pas celle que j'ai été sans faille chaque jour depuis le lycée. La haine brûlante, les amours dans tous les sens, l'envie de hurler au temps qui passe. Quelque part, il y en aura toujours des restes, mais bien que des restes.
Voilà comment se protéger de soi-même. J'ai découvert qu'il fallait m'amputer de l'adolescence, même si je n'ai pas effectué ce travail consciemment. J'étais le mal et son remède. La crise était violente, mais je n'en attendais pas moins : je savais que la fin de l'adolescence se ferait dans la douleur. Après tout, quoi de plus normal pour moi qui ai longtemps cultivé mes 16 ans. C'est simplement arrivé plus vite que je ne le pensais.

Fiam. Encore et toujours.