Le piège d'un blog est également ce qui en fait son avantage même : c'est un défouloir. Les articles où j'explique les lignes heureuses de ma vie ne sont pas vraiment légion, il faut le reconnaître. Et pourtant.
Par moments, je me prends en flagrant délit de trahison à moi-même. Je me suis promis depuis des années de ne jamais penser une vie comme une totalité, tout bien ou tout mal, mais de distinguer les lignes qui en constituent sa trame.

Il est vrai que j'ai connu des moments plus euphoriques que les mois qui viennent de passer. Certes, j'euphémise la khâgne-bis, quand je parle de fatigue. Et rien n'est plus frustrant que de vivre ça "seule", sans une bonne âme qui supporterait mes humeurs.

Néanmoins. Néanmoins.

Même si "those dancing days are gone", il n'en reste pas moins les traces au quotidien. Et je crois que je l'ai un peu trop occulté ces derniers temps, au nom d'un caprice et d'une dictature pro-perfection. L'exigence stalinienne de plénitude dans la perfection fait des ravages. J'ai tout voulu, en pensant que c'était possible. La petite fille de 5 ans qui sommeille en moi n'a pas tout à fait disparu.
Quoi ? Le monde n'est pas à mes pieds ? Scandale !

J'ai voulu :
Cuber Corollaire : réussir ma khâgne Corollaire second : travailler en permanence Voir autant mes amis que l'an passé Rencontrer encore des gens Sortir toutes les semaines Continuer les concerts Retourner au théâtre Gagner de l'argent Lire Mes exagérer ETC.

A moins d'être SuperWoman, je ne sais même pas comment j'ai pu envisager de tenir tout ça ensemble. Maintenant que j'en fais la liste, je réalise à quel point je me suis enflammée dans mes ambitions. J'aurais voulu être en même temps les 8 sprinteurs d'un 100 mètres, et gagner les 8 courses en même temps. L'impossible logique et moi.
Alors que reste-t-il de mes horizons ?

La principale ligne que j'ai su tirer jusque là, le fil de l'amitié (non ce n'est pas seulement un numéro en 08, vanté par Evelyne Leclerc), avec pour horizon la chaleur humaine. Celle qui réchauffe les nuits sans sommeil, et apaise les jours aveuglants.
"Tu m'donnes tes mains pour recevoir" chantait Louise Attaque dans mon baladeur, à la fin de l'hypo. Le même groupe m'assure que "tout ça c'est immense", depuis le début de la khâgne-1e-du-nom.
Comme je le disais dans un article précédent, la seule promesse tenue est en effet celle de l'amitié. Elle se réalise chaque jour, et c'est peut-être pour ça que j'ai tendance à la négliger. Pourtant, on peut la mesurer au courage que je déploie pour tenir en khâgne II, courage qui ne vient CERTAINEMENT PAS de moi.

La force me vient des sourires le matin, viens ici que je te fasse mes 4 bises et si tu ronchonnes je te fais mon numéro de la-fille-qui-aime-les-bisous, la force me vient d'une rue nommée d'après un révolutionnaire russe, et les lapins (concept, et non animal à grandes oreilles) qui ne sont pas toujours ceux que l'on croit (Sarah et Lorane, allez-vous apprécier d'être comparées à des lapins ?), la force me vient d'une princesse qu'on entretient dans l'illusion d'en être une, parce que ça fait son charme, le courage vient des compagnons de galère, bien plus que ça, des amis, eux aussi enrôles depuis deux ans et demi en prépa, la force revient quand je me récite les prénoms de mes amis, prière incantatoire même si faussement performative, pour moi qui suis toute tendue dans l'attente de passer un moment avec eux, la force me vient de tous ceux qui croient en moi à ma place,
la force des amis.

J'oublie trop facilement comment s'est passée l'année dernière. Les matins froids et les journées anonymes. Les professeurs désincarnés. Les soirs et les nuits à me prendre la tête entre les mains, parce que je ne savais plus comment faire pour l'oublier. Les coups de fil à n'en plus finir. Les éclats de voix entre mon père, ma mère, et moi.
Tout cela a disparu cette année. Il fallait bien remplacer, et l'explication unilatérale Khâgne-bis a pris le relais.

Il n'empêche que je porte en moi tout ce qu'ont bien voulu y laisser mes amis, au cours des deux années précédentes.

The sun in a golden cup.