mardi 30 novembre 2010

Under your spell

Je me souviens, au collège, de la seule personne devant qui j'ai jamais enlevé mon chapeau (pour reprendre la chanson de Brassens). Elle est la première avatar d'une série qui continue jusqu'à aujourd'hui, alors qu'elle est peut-être elle-même moulée sur un souvenir inconscient.

Elle voulait devenir vétérinaire, ce qui était mon projet depuis environ mes 4 ans. C'est ce qui nous a rassemblées au début : on projetait de partir en Belgique ensemble pour les écoles sans concours.
Elle était fan de Buffy et j'ai tout regardé pour elle. J'ai rejoint le groupe des fans de Buffy, dont chacune s'attribuait un personnage, et j'ai même rejoint le fan-club officiel français. Elle adorait le couple Tara-Willow, évidemment.
Elle était fan des Offspring et j'ai écouté leurs chansons pour elle. Je connaissais sa chanson préférée par coeur, et je peux encore dire qu'il s'agit de "Want you bad". Je me souviens de nous deux assises sur son lit à regarder le livret de l'album et commenter les dessins.
Elle s'était fait une coloration rouge et je l'avais suivie chez le coiffeur le soir où elle devait y aller. Je n'avais pas prévenu mes parents que je ne rentrerais pas après les cours, et c'est la mère de Charlotte qui l'avait fait pour moi en me découvrant chez elle avec surprise. Je m'étais mis en tête de faire une coloration rouge moi aussi.
Elle respirait la fragilité et je voulais être partout derrière elle pour lui servir de parade. J'aimais sa sensibilité et par-dessus tout le fait qu'elle cherche à la cacher. A côté d'elle, je n'étais qu'une grosse brute épaisse et sans tact (ça n'a pas beaucoup changé depuis).
Elle marchait et je voulais marcher à côté d'elle. Elle dormait et je voulais dormir à côté d'elle. Elle respirait et je voulais respirer son air. Elle seule avait le droit d'entrer en contact physique avec moi.

A défaut de plus, combien de soirs ai-je dormi avec sa lettre sous mon oreiller ? Une lettre de trois pages, pleine de blagues, de partage d'impressions sur le métier de vétérinaire, d'anecdotes. Une lettre pleine de sa vie, à laquelle il ne manquait plus que le parfum. Mais non, Charlotte n'était pas comme ça, she knew better. Elle ne ressemblait pas aux autres filles. Elle ne se maquillait pas. Elle ne lisait pas les magazines pour pouffettes écervelées. Elle ne courait pas après les garçons.
Je l'ai reconnue, elle était comme moi. Elle est la première personne, et peut-être la seule, que je ne cherchais pas à impressionner, jamais. Le combat ne m'aurait pas apporté autant de délices. Je prenais un plaisir particulier à la laisser passer devant, à la laisser parler sans me demander si elle avait raison ou tort. Elle n'avait qu'à apparaître, telle une reine.

Elle fut la première et, malgré tous mes efforts, je crois bien qu'elle était la dernière.




dimanche 14 novembre 2010

Boucan d'enfer

Souvent quand j'avais peur que ma mère ne m'aime plus, peut-être deux ou trois fois quand j'ai eu peur que mes amis ne m'aiment plus, une fois quand ma grand-mère est morte. J'ai pleuré pour de vrai. Pas les larmes de crocodile pour lesquelles j'étais très forte, mais qui ne voulaient rien dire au final. Les larmes de crocodile, c'étaient celles réservées au public, merci pour vos applaudissements, non je ne fais pas de bis. Ca, c'est quand j'étais enfant.

Et puis à l'adolescence, j'ai commencé à pleurer un peu pour tout et n'importe quoi, surtout du n'importe quoi évidemment. Je n'avais aucune hiérarchie entre les colères contre ma mère, les déceptions amoureuses multiples, la trahison d'une amie, la cruauté d'un ex, ou encore la fin d'un livre. Tout ça pêle-mele, c'était l'inondation de Paris en 1910, les grandes eaux de Versailles, que dis-je ? la mousson indienne. Je me disais "plus je crie fort, plus je suis malheureuse" et "plus je suis malheureuse, plus je crie fort" un peu indistinctement.
On peut appeler ça l'adolescence, l'âge sensible, qu'est-ce-que ça change ? Je faisais un boucan d'enfer à chaque heur et malheur. Je criais sur tous les toits ce qui m'arrivait.

Quand j'étais amoureuse de Philippe et qu'il est sorti avec Florence, j'ai cru à Tchernobyl. Pauvrette de moi, qu'y a-t-il au-dessus de Tchernobyl ? Mega-Tchernobyl ? Comment on hiérarchise le reste quand on est persuadé d'avoir vécu la fin du monde ? J'ai réalisé ça deux ans plus tard, quand je suis tombée amoureuse de Cam et que Robinson est apparu. J'avais atteint le boucan maximum, le décibel au-delà duquel le corps cède. Enfin là encore, c'est ce que je croyais.
L'histoire s'est répétée, bien sûr, a renforcé ma meilleure ennemie avec Sikou. Je n'ai même jamais essayé de me faire moins bruyante, à quoi bon ? J'étais si sûre de descendre de cercle en cercle dans mon enfer à moi. Blogs, appels téléphoniques, yeux bien rouges devant tout le monde, regardez bien La Douleur.
J'étais loin de mes larmes de crocodile enfantines, mais l'impudeur leur donnait la même apparence. Ce n'est pas étonnant si Bianca n'y croyait pas. D'ailleurs, est-ce-que j'y croyais moi-même ? Je suis un peu devenue la femme qui criait au loup, attention l'enfer arrive !, oui c'est ça allez remballe. Plus un gramme de crédibilité de moi pour moi. Je ne sais même plus si j'ai pleuré après la rupture. Sûrement que oui, mais on est loin des déluges précédents. Il aurait fallu que je me croie moi-même pour ça, que je croie aux rêves successifs, au dos qui se bloque, aux migraines, à la guimauve dans laquelle j'évolue depuis trop longtemps.

Finalement mon boucan habituel s'est retourné contre moi, encore plus assourdissant. Le moindre de mes gestes me rappelle à une discussion sur un banc près du métro Ménilmontant, et à l'embrassade sur le parvis de Beaubourg. Omoplate, pied, bras, migraine, torticolis, c'est une révolte entière contre mon silence.
Dis, elle dure combien de temps l'expiation de Perceval pour son silence ? Ah oui, j'oubliais, c'est un roman inachevé.




jeudi 4 novembre 2010

Le tourbillon de la vie

Il y a dix ans, je n'imaginais pas un milligramme de ma vie actuelle. Il y a dix ans, en octobre 2000, j'entrais en plein dans l'adolescence, ce grand pont incroyable, cette liane que je ne voulais pas lâcher de peur de ne pas atteindre l'autre rive (ouais, ça c'est de la métaforte). Il y a dix ans, j'entrais en troisième et je commençais ma folie Kaz!bao.
Avant d'arriver à Londres, j'ai compté les années. Un, deux, trois, quatre... jusqu'à dix. Ce "10" m'a semblé aussi incroyable à atteindre que lors du moment où j'ai appris à compter. Halloween 2000, le jour de l'arrivée du cable et de l'internet illimité. C'est incroyable comme l'arrêt sur images de ce moment précis me donne le vertige. Aurai-je autant de nouveau changé dans 10 ans ? En octobre 2000, je voulais encore faire vétérinaire, et j'envoyais valdinguer mon sac dans les couloirs parce que je venais de rater un contrôle de maths. En octobre 2000, j'étais en train de tomber désespérément amoureuse d'une fille pour qui je m'étais faite toute petite, la seule jusqu'à présent d'ailleurs. En octobre 2000, j'avais une vraie team d'amies du collège, je me revois même pendant une après-midi avec elle, où je m'étais dit "souviens-toi". Et je commençais à chatter avec tous ces autres, qui n'ont jamais été "virtuels". En octobre 2000, il y avait mes étoiles au plafond, encore.

Dix ans plus tard. 10. Dix ans plus tard, je réalise que je n'ai jamais plus ôté mon chapeau devant personne, c'est Charlotte qui l'a gardé. Ca ne m'a pas empêchée de vivre ensuite, mais si différemment. J'ai pris tant de chemins de traverse, de détours, de raccourcis, que tout cela n'a plus aucun sens. De ce bordel, il ressort que mes amis de Kaz!bao sont devenus, à mes yeux, mes amis "du collège", puisque j'ai laissé les autres en chemin. Dix ans plus tard, tous ces gens, avec leur pseudo, sont devenus des compagnons de route plus ou moins lointains, des amis à présent. Dix ans plus tard, j'ai également eu le temps de rejeter Charlotte loin, de la chanter "sometimes" along with the Cures, et puis finalement. Le tourbillon de la vie. Dix ans plus tard, w!lly007 demande à ga!e_weathers ce qu'elle veut faire de sa vie, alors qu'il est sur le point d'entamer une thèse et d'emménager sur Paris ; icq37O976O1 nous présente une amie avec qui elle séchait les cours au collège pour aller sur Kaz! ; ma!ocarina habite près de Paris, et se déguise avec une perruque prêtée par mon premier copain qu'elle continue de voir.
En fait, ce qui est fou, ce ne sont pas les imprévus. Amers ou savoureux, je les ai accueillis avec la même soif : il y a dix ans, je ne savais pas que la_baby_dol! allait me faire perdre la tête, ni même que la prépa passerait à sa suite pour achever le travail. Mais tous ces moments, je les ai pris à bras-le-corps, sans me poser de questions, avais-je le choix.
Ce qui est fou, c'est. L'origine. Halloween 2000, en réalité, c'est la deuxième de mes naissances. La deuxième d'une longue série de naissances, à vrai dire. Voilà, la naissance d'Amélie Nothomb dans "Métaphysique des Tubes". Ce n'est d'ailleurs sûrement pas au hasard si j'ai découvert, et ai profondément aimé ce livre, au printemps 2001.
It bade my blood to run, et basically that's what I was trying to express when repeatedly shouting "vous vous rendez compte que ça fait dix ans ????". Que ça faisait dix ans que mon coeur avait commencé à battre.