mardi 15 février 2011

Les eaux usées

Ca faisait longtemps que j'avais filtré la pollution qui empestait ma tête.

Avec mon analys(t)e, j'ai appris à ne pas laisser circuler ces boues immondes. J'y ai mis les mains, ça brûlait un peu au début. J'ai dû m'y plonger tout entière, même, et parfois sans analyste. Je n'ai effectivement pas voulu l'exposer aux eaux trop pestilentielles. Mes bas-fonds sont mes bas-fonds.
J'ai quand-même réussi peu à peu à drainer, canaliser, le tout de mes propres mains. Que cela soit justifié ou non, j'en ressens une grande fierté : il n'y a pas de sot travail.
Pourtant, je n'ai pas fini la tâche : je sais que le cadavre qui gît au fond des eaux n'a pas disparu, la faute à la panique. Qui est-il ? Où est-il ? Tant que je me posais la question, tant que ce cadavre m'obsédait, je ne vidais pas les eaux usées. Elles stagnaient dans un réservoir, puantes, toujours là bien que filtrées, gonflant au fil des semaines et des séances.

Ca faisait longtemps que j'avais filtré Ça.

Alors j'ai décidé de ne plus me concentrer sur ce foutu cadavre. De toute façon, il est crevé, il n'ira pas très loin. Je reviendrai l'observer, je reviendrai l'aider à se décomposer de mes propres mains. Je ferai le travail des vers. Je le ferai avec amour, puisque ce cadavre est à moi.
Mais auparavant, il y avait de la boue crasse plein l'évier qui m'attendait. De voir tout Ça, d'y plonger mes mains une deuxième fois pour trouver le bouchon, j'ai paniqué. J'ai été absente à ma dernière séance. Et pourtant, je crois que c'est celle qui me fut le plus utile.

Ca faisait longtemps que j'avais effectué le travail de filtrage.

Elles étaient donc prêtes, les eaux usées : quand j'ai fui l'analys(t)e, elles ont fui ma tête. Comme si m'arracher libérait quelque chose. Libérée, libérées. Je me suis retrouvée tellement légère que j'ai pu secouer la tête, sans remuer des litres et des litres d'égoûts de moi et de morts.

Le signifiant est inno-sang ? (L'inno-sens porte mal son nom.)




vendredi 4 février 2011

MaStar

Quand on était petites, vraiment petites, on ne jouait pas beaucoup ensemble. MaStar, c'était la plus grande, c'était Sandra. Elle était une jeune fille de six ans mon aînée. Je suivais Sandra partout, je ne la quittais jamais, c'était hors de question. Tout ce qu'elle disait, tout ce qu'elle faisait, était Parole d'Evangile. J'ai commencé à boire exclusivement l'eau du robinet de la salle de bains parce qu'elle faisait pareil. Elle a été ma découverte du corps féminin qui se transforme, quand je suis entrée dans la salle de bains alors qu'elle se lavait. De ce jour, j'ai eu une période où je la charriais constamment sur ses "ballons de rugby" et son "herbe brûlée" (oui). On est comme ça dans la famille, on partage tout.

En grandissant, progressivement, je l'ai moins vue. Elle avait ses copains. Elle a quitté l'appart familial en claquant la porte, histoire de perpétuer une tradition familiale sur la troisième génération. Elle est revenue, peut-être n'était-elle partie que dans mon esprit en réalité, mais j'avais quand-même grandi entre temps. MaStar est ensuite devenue Mathilde. Elle n'était mon aînée que d'un an, et m'a en quelque sorte chaperonnée par deux fois, quand mes hormones ont commencé à s'éveiller. Je ne la suivais pas autant que Sandra, mais son aplomb à la face du monde me fascinait désormais, après m'avoir passablement énervée quand j'étais plus petite.

Puis, un jour, c'est moi qui suis devenue SaStar. Zoé, après des années passées aux quatre coins du monde avec ses parents, est revenue en France. Je crois que c'était un an après la mort de notre grand-mère. C'est peut-être ce qui a eu raison de la tentation de l'éloignement : Zoé et ses parents étaient en Syrie quand LaMère est morte. J'étais en 3e, elle en CM2. On a commencé tout doucement à rattraper ces années passées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre.
Tout ça s'est accéléré à partir de mon entrée en 1e L. Pendant qu'elle devenait une mini-rockeuse, les posters des Ogres, de Tryo, et j'en passe, se multipliaient dans ma chambre. Je peignais mon lit de toutes les couleurs et je m'habillais en hippie roumaine. Par une attraction que je n'explique pas, Zoé s'est mise à écouter mes disques, et à plus ou moins prendre exemple sur moi. Sa mère considérait que j'avais une "bonne influence". Il faut dire que nous sommes toutes les deux fille unique et qu'après nous être crêpé le chignon quand on était toute petite, limite chien de faïence quand on se croisait entre deux de ses voyages, ce qui devait arriver arriva : nous nous sommes trouvées.
Toute son année de 4e s'est déroulée entre cours de maths qu'elle prenait avec moi, écoutes de musique, moments où on échangeait nos vêtements, la mini-rockeuse devenait la mini-hippie et inversement, discussions interminables où elle m'énumérait ses copains successifs, et j'en passe. Quand ses parents ont décidé de partir à La Réunion pour son année de 3e, mon monde a soudain connu un vide, qui fut récriproque je crois. Elle avait un blog où elle écrivait souvent des articles sur moi. J'ai compris que MaStar à moi me prenait pour SaStar à elle.

Depuis ce moment, Zoé et moi avançons en paire, plus ou moins selon les périodes bien sûr. La première année où j'ai habité seule, elle était tout le temps fourrée chez moi. Maintenant qu'elle a son propre chez elle, c'est certain qu'elle se fait moins présente à Verdun. Mais, quelque part, et c'en était peut-être un signe qu'elle me veuille comme personnage principal pour son "atelier pratique" de cinéma, nous sommes toujours les vedettes en miroir l'une de l'autre.