Ma mère a insisté : "Allez, dis ce que tu voulais... !". Je crois que je connaissais la réponse depuis longtemps, en fait. Il a pris son petit air que je reconnaîtrais entre des millions, celui de quand-il-ose-pas-trop-dire-ce-qu'il-veut-de-peur-de-s'imposer, mais a fini par émettre ces mots hésitants : "Bah... une fille...". Je connaissais sa réponse. Le temps de sourire et je l'ai rendu heureux. Ses yeux ont rougi.
Ma mère n'en pensait pas moins. Mais elle avait déjà usé ce que ses yeux étaient capables de rougeur le jour où je lui ai demandé ce qu'elle faisait le 10 juin, "mais non pas pour le mariage, pour L'AUTRE truc", et qu'elle s'était mise à chantonner du Renaud, alors que mon père s'obstinait à ne pas comprendre, à répéter "bah je prépare le lendemain qui est mon anniversaire".

J'ai gardé le test. Il est dans la salle de bains, enfoui sous des vêtements propres ou sales, sûrement. Peu importe, je sais qu'il est là, le résultat inaltéré malgré les mois passants. Le résultat en question ne m'a pas surprise, ne nous a pas surpris. Dans notre langage commun, ce n'était qu'un élément de plus. J'ai souri en moi-même, gardé précieusement l'information jusqu'à son appel du midi. Lorsqu'il est rentré le soir du travail, il portait le même sourire béat qu'il avait probablement affiché tout l'après-midi. C'était le non-événement le plus courant, le plus banal sur terre ; et pourtant, pour lui comme pour moi, c'était le sceau de notre pacte ; celui qui nous a fait échanger nos corps et devenir chacun maître de l'autre.
L'un l'autre, nous nous sommes donc couronnés, roi reine dieu déesse. Sur notre terre sacrée, le divin enfant va paraître, l'enfant-reine que je n'attendais pas... et ne souhaitais même pas il y a deux ans et toutes les années auparavant.

Rien ne m'empêchera d'utiliser les grands mots, tout simplement parce que les sentiments sont à leur hauteur.
Il y a deux ans, je clamais "rien dans mon ventre", jusqu'au jour où une empathie destructrice me vida de mon ventre. Le pacte originel fut donc d'abord entre moi et moi-même : ne jamais me vider de mon ventre à mon tour, s'il venait à se remplir. Mais rien n'arrivait. J'étais seule, désespérément seule. Je pensais vivre seule, tant j'avais fini par m'accommoder de cette situation d'où aucune de mes tentatives obstinées ne parvenait à me sortir.
Et puis vint la luz de mi vida, un Argentin planqué derrière ma pompe à bières qui invita la barmaid délaissée à danser avec lui. De cet instant, je n'ai plus été ni seule ni délaissée, ce dont les coups fréquents dans mon ventre sont un rappel permanent.

Cassiopée n'est plus un mythe et ne se trouve plus à des années-lumière non plus.