mardi 31 mai 2011

I feel like I lose when I lose

Impossible de faire des contorsions, de retourner la défaite en victoire. "Straightforward" is the word, constat d'échec sans appel.
J'ai cherché ma place dans vos vies, très longtemps, savoir comment vous viviez sans moi après moi. De ce qui m'était visible, je ne me suis vue nulle part. J'ai tenté quelques incursions, sûrement maladroites, mais il était difficile de faire mieux depuis ma place ; sans résultat. Nulle part, je n'étais nulle part. De ces années à se parler, plus rien. Cette relation siamoise, au vent. Les souvenirs, pas les mêmes.

Alors je ne dis pas n'y être pour rien. Peut-être ai-je regardé le lien s'effilocher sans réagir. Impuissante.

Je n'ai pas l'impression de gagner lorsque je perds. L'impossibilité de cette contorsion n'a d'égale que mon impuissance face à l'échec. Tout est clair et la couleur est affichée : vous effacer de FB était une annonce publique de défaite. Regardez bien, vous me voyiez ? Vous ne me voyez plus !
Ma guerre dans le vent pour continuer d'exister à vos yeux s'est achevée sur une bataille que je n'ai même pas menée. "Unfriend". La reddition est sans rémission, l'armistice totale. Elles signifient "Je n'ai pas réussi à vivre sans être importante pour vous."

Vous vous en fichez, je sais. Vos vies ont continué sans moi, tout va bien pour vous, merci.

Je reste seule à m'agiter, un drapeau blanc à la main qui semble bien avoir la forme de mon ego. Je ne fais que me chercher dans vous. Vous voilà rassurées, vivez tranquilles, ce n'est qu'une blessure d'ego : l'honneur même manque à ma défaite. Que j'aie pu vous aimer ne compte finalement pas tant que ça.

Et même si vous n'avez rien vécu de cette guerre, j'espère que vous en avez savouré la victoire.




vendredi 20 mai 2011

Les deux rives

Je ne sais plus trop pourquoi, il y a quelques semaines, on m'a dit cette phrase : "non mais toi, c'est comme moi : OK on est nés ici, mais on sera jamais vraiment français".
Ca venait de quelqu'un qui aime les idées à l'emporte-pièce, mais qui tombe souvent, et curieusement, juste.

Parce que je n'aime pas le dire trop fort : je ne suis pas complètement française. Déjà je viens d'un quartier où on compte plus d'Algériens et de Maliens au mètre carré qu'à Bamako ou Alger... Et en plus de cela, ma mère n'est pas née en France, mais en Algérie justement. Pas pied-noir. Algérienne, une vraie de vraie, née Musulmane, qui demande le pain en arabe à la boulangerie (même en France), avec des histoires de jasmin, et tout.
Paraît que ça s'voit sur mon visage. Mon père a eu beau me transmettre toute la roussitude et la blanchitude dont ses gènes étaient capables, paraît que je me balade avec une tête d'Arabe ("paysage faciétal maghrébin" ai-je même entendu). La première fois où la mère de JB m'a vue, elle a ensuite assuré à son fils que j'étais d'origine arabe. J'ai les cheveux noirs et frisés, les yeux sombres.

Le miroir est une épreuve. Je sais qu'il trahit tout : les tâches de rousseur, la peau plus blanche que je ne le voudrais. Et pourtant, petite, à l'école primaire, on me demandait dans la cour si j'avais "des origines". Oui, j'ai "des origines" : en amont, si loin qu'elles sont presque hors de portée de ma vue. Je tends la main, parfois, mais. "Mes origines" me filent entre les doigts. L'Algérie se fait fugace, farouche, insaisissable, et ne me laisse que les souvenirs de ma mère et de ses parents. Dont je ne sais même pas quoi faire.

Je marche dans les rues de France, je voyage dans les villes de France. Je parle français, mon histoire est française. Evidemment, puisque "L"Algérie, c'est la France", pourquoi irais-je chercher ailleurs ce qui est déjà présent ici ? Je viens devant vous, chargée d'histoire et de littérature françaises, la bouche pleine de mots désuets et du "C-K-X" inlassablement répété. Pourquoi verriez-vous autre chose ; puisque je ne vous offre que la moitié de moi ?
Parce que ma mère filtre. Ses souvenirs et son histoire. Des anecdotes, au compte-gouttes. Des gens de ma famille proche, avec 23 ans de retard. Les relations qu'elle avait avec eux, jamais. Pourquoi elle n'est pas retournée en Algérie depuis ses 20 ans, peut-être dans une lettre posthume. Et parce que je filtre aussi. Hermétique à l'arabe. Hermétique à cette religion que ma mère a rejetée. Hermétique à cette guerre où tout semble avoir commencé. 5/20 au bac, ça ne s'invente pas.

Que me reste-t-il de cette autre rive au final ? Ma deuxième langue est une langue que je ne saurai jamais parler, mais dont les sonorités m'ont bercée toute mon enfance, jusqu'à maintenant. Peut-être qu'à l'instar de certains souvenirs, l'algérien est stocké dans mon cerveau, loin, très loin, et qu'un jour il ressortira. "MaFamille" est celle de Noël, mais peut-être, avec un peu de chance, elle deviendra aussi, un jour, celle du mariage de ma tante, qui a voulu épouser "quelqu'un comme elle".

Les chansons, les gâteaux, les rares photos ne me suffisent pas. J'en veux plus. Je veux savoir, sans même savoir d'avance ce que je veux découvrir. Je veux comprendre le déchirement de mon grand-père, l'arrachement à la terre natale, et comment la peine, comme un ruisseau qui déborde, a atteint ma mère et sa fille. Puisqu'il y a un grand-père au départ de toutes les histoires.

Ancrée fermement à une rive, tout mon corps est tendu vers l'autre côté, excitée et angoissée à l'idée du dévoilement.




vendredi 6 mai 2011

J'ai tout fait J'ai rien fait

Ce matin, j'ai envoyé une candidature pour une association, candidature qui a été entièrement retapée par Elsa. J'avais cru faire un CV et une LM de folie, elle les a entièrement repris pour en faire un truc sérieux. Elle a dit en plaisantant qu'elle m'avait "upgradée". Moi je sais qu'elle ne plaisantait pas. Non seulement, elle ne plaisantait pas, mais en plus elle n'est pas la seule à m'avoir mise à jour.

Dans ma vie j'ai tout fait.
Dans ma vie j'ai rien fait.

Pour la plupart des gens, c'est une évidence : quelqu'un leur a appris à. Quelqu'un les a aidés à. Quelqu'un les a inspirés pour. Tout le monde a eu des professeurs, des parents, des modèles. Moi j'ai eu des substituts d'esprit et des substituts de corps.
J'ai rien fait : apprendre à lire, c'est pas moi, me motiver pour l'école, c'est pas moi, me faire exprimer mes sentiments, c'est pas moi, voir une psy, c'est pas moi, mener une vie d'adulte, c'est pas moi.

Je ne cherche même pas à rendre hommage à ces personnes qui ont bien voulu endosser ma vie pour un moment, afin d'en faire quelque chose d'un peu mieux qu'elle n'était avant leur arrivée. Je ne fais que constater. La question des origines m'obsède, pour tout, et quand j'observe mes proches, je me demande l'origine de eux. Qui c'est qui leur a transmis ça ? Qui c'est qui leur a fait ça ? Et je ne vois jamais, j'ai l'impression qu'il y a un voile qui rend leur origine invisible. Je cherche dans les parents, dans les amis, dans les histoires amoureuses ; je cherche.
Moi, c'est pas la peine de chercher. Je parle tout le temps de mes origines. J'ai rien fait, c'est ma mère/mon père/mes parents/ma famille/Bianca/Coline/Elsa/Sarah/Sikou/Anète/Sana/Mas' qui. C'est jamais moi et j'ai une très bonne raison pour les investir de ma vie : ce sont mes Horcruxes (la sortie du dernier film HP méritera sûrement un article). I live while they live.
L'interventionnisme, ce sont mes parents qui ont inventé le concept, ce sont mes amis qui l'ont perfectionné, mes amoureux en sont devenus les champions olympiques. J'ai souvent cru cacher mes faiblesses ou mes manques, mais je devais crier "prenez les rênes" malgré moi : j'ai été protégée, secouée, entraînée, formée, soulagée, encouragée, soignée, consolée, guérie. Prenez ma vie, car vous vous débrouillez bien mieux avec que lorsque c'est moi qui m'en charge.

En vrai, dans ma vie j'ai tout fait.
Mon appart, c'est mon idée. Mon orientation scolaire, c'est mon idée. Mon analyse, c'est mon idée. Mes cours particuliers, c'est mon idée. Mon voyage aux Stazunis, c'est mon idée. Tout ça, et bien plus encore, n'a pu voir le jour que parce que j'ai contacté les personnes qu'il fallait, déposé les dossiers qu'il fallait, etc.
En vrai, tout est dans ce "etc" : je vis dans l'obsession du choix et de l'action. Ma fierté, c'est de pouvoir dire "j'ai voulu" et "j'ai fait". Personne, au grand jamais, n'aurait choisi mon appart à ma place, j'aurais fait la grève de la faim plutôt que me laisser imposer quelque chose. Quand j'ai appelé le CAPA, c'était à la suite de mes recherches persos sur Internet, et je porte comme un étendard la fierté d'avoir pu financer plus de deux ans d'analyse. Toutes mes études sont le résultat de mes décisions, j'aurais préféré tuer mon père plutôt que le laisser finir sa phrase "mais t'es sûre que tu veux pas plutôt faire S, parc...".

Une louve, une lionne, une tigresse. Je suis une folle de la décision, tellement je suis têtue et je n'en fais qu'à ma tête. J'ai tout fait dans ma vie, sans jamais me poser de questions. J'ai avancé comme un bulldozer qui détruit tout sur son passage. OK, y'a eu quelques doutes par-ci par-là. Vite écrasés.

Un lapin, un poisson rouge, un canari. J'ai laissé mes proches remplir ma mangeoire et m'amener chez le vétérinaire (quoi ? il est 5h du matin, j'ai bien droit à une métaphore animalière !). Je me suis souvent auto-fatiguée de mon indépendance, et ai laissé mes proches prendre le relais.

Dans ma vie, j'ai tout lancé, j'ai rien continué. On retrouve ça dans mon origine : j'adorais les histoires, mais c'est mon père qui m'a appris à lire.
J'ai surkiffé la vie tout de suite, mais c'est vous qui m'avez appris à vivre.