Je ne sais plus trop pourquoi, il y a quelques semaines, on m'a dit cette phrase : "non mais toi, c'est comme moi : OK on est nés ici, mais on sera jamais vraiment français".
Ca venait de quelqu'un qui aime les idées à l'emporte-pièce, mais qui tombe souvent, et curieusement, juste.

Parce que je n'aime pas le dire trop fort : je ne suis pas complètement française. Déjà je viens d'un quartier où on compte plus d'Algériens et de Maliens au mètre carré qu'à Bamako ou Alger... Et en plus de cela, ma mère n'est pas née en France, mais en Algérie justement. Pas pied-noir. Algérienne, une vraie de vraie, née Musulmane, qui demande le pain en arabe à la boulangerie (même en France), avec des histoires de jasmin, et tout.
Paraît que ça s'voit sur mon visage. Mon père a eu beau me transmettre toute la roussitude et la blanchitude dont ses gènes étaient capables, paraît que je me balade avec une tête d'Arabe ("paysage faciétal maghrébin" ai-je même entendu). La première fois où la mère de JB m'a vue, elle a ensuite assuré à son fils que j'étais d'origine arabe. J'ai les cheveux noirs et frisés, les yeux sombres.

Le miroir est une épreuve. Je sais qu'il trahit tout : les tâches de rousseur, la peau plus blanche que je ne le voudrais. Et pourtant, petite, à l'école primaire, on me demandait dans la cour si j'avais "des origines". Oui, j'ai "des origines" : en amont, si loin qu'elles sont presque hors de portée de ma vue. Je tends la main, parfois, mais. "Mes origines" me filent entre les doigts. L'Algérie se fait fugace, farouche, insaisissable, et ne me laisse que les souvenirs de ma mère et de ses parents. Dont je ne sais même pas quoi faire.

Je marche dans les rues de France, je voyage dans les villes de France. Je parle français, mon histoire est française. Evidemment, puisque "L"Algérie, c'est la France", pourquoi irais-je chercher ailleurs ce qui est déjà présent ici ? Je viens devant vous, chargée d'histoire et de littérature françaises, la bouche pleine de mots désuets et du "C-K-X" inlassablement répété. Pourquoi verriez-vous autre chose ; puisque je ne vous offre que la moitié de moi ?
Parce que ma mère filtre. Ses souvenirs et son histoire. Des anecdotes, au compte-gouttes. Des gens de ma famille proche, avec 23 ans de retard. Les relations qu'elle avait avec eux, jamais. Pourquoi elle n'est pas retournée en Algérie depuis ses 20 ans, peut-être dans une lettre posthume. Et parce que je filtre aussi. Hermétique à l'arabe. Hermétique à cette religion que ma mère a rejetée. Hermétique à cette guerre où tout semble avoir commencé. 5/20 au bac, ça ne s'invente pas.

Que me reste-t-il de cette autre rive au final ? Ma deuxième langue est une langue que je ne saurai jamais parler, mais dont les sonorités m'ont bercée toute mon enfance, jusqu'à maintenant. Peut-être qu'à l'instar de certains souvenirs, l'algérien est stocké dans mon cerveau, loin, très loin, et qu'un jour il ressortira. "MaFamille" est celle de Noël, mais peut-être, avec un peu de chance, elle deviendra aussi, un jour, celle du mariage de ma tante, qui a voulu épouser "quelqu'un comme elle".

Les chansons, les gâteaux, les rares photos ne me suffisent pas. J'en veux plus. Je veux savoir, sans même savoir d'avance ce que je veux découvrir. Je veux comprendre le déchirement de mon grand-père, l'arrachement à la terre natale, et comment la peine, comme un ruisseau qui déborde, a atteint ma mère et sa fille. Puisqu'il y a un grand-père au départ de toutes les histoires.

Ancrée fermement à une rive, tout mon corps est tendu vers l'autre côté, excitée et angoissée à l'idée du dévoilement.