Ils courent comme si le mauvais sort pouvait encore les rattraper
Par Kalleidoscope, dimanche 13 mars 2011 à 01:54 :: Blog
J'ai un secret.
Quand j'ai arrêté l'athlétisme, après l'avoir à peine commencé, j'ai lancé la fabrique de la frustration. Je ne peux même pas expliquer la sensation que j'avais quand mes pointes se connectaient sur le tartan de la piste, et pourtant j'ai tué l'envie. J'ai pris mes deux mains, un peu à reculons quand-même, et j'ai étranglé l'envie. Pas d'un coup, pas parfaitement (personne ne tue de sang-froid comme ça). De la 3e à la Terminale, à chaque rentrée, je démarrais les entraînements, pour les arrêter quelques mois, puis quelques semaines, plus tard. Non, tu vois, c'est pas possible, les entraînements c'est après l'école le soir, je suis trop fatiguée, c'est dommage mais c'est comme ça.
L'école, c'est le plus important.
A chaque compétition que je vois, je me joue la même chanson. Que je rêve à m'en déchirer l'intérieur d'être à la place de ces athlètes. Le pire moment fut celui des Mondiaux de 2003 à Saint-Denis : au milieu du chaos de cet été-là, je m'accrochais à ma télécommande. Tous les matins me voyaient calée sur le canap', absorbée par les images de ces athlètes qui "courent comme si le mauvais sort pouvait encore les rattraper". C'est Régis Wargnier qui a mis les mots sur cette obsession, dans un docu qui m'avait complètement fascinée. Je m'étais sentie reliée à ces trois portraits d'athlètes, par quelque chose de l'ordre de la folie douce, cette idée fixe du dépassement. La différence, c'est que j'étais excellente à l'école. Alors le dépassement, c'est par l'école qu'il devait passer [j'ai écrit "pas l'école" ahah].
L'école, c'est le plus important, non ?
A l'école primaire, je ne travaillais jamais. J'ai très peu de souvenirs concrets d'avoir fait mes devoirs, ou d'avoir appris une leçon. J'ai juste eu la chance de naître avec une mémoire (ou un désir) monstrueusement développée. Ma mère, mon père, l'une explicitement et l'autre pas, m'ont passé leur frustration de l'échec scolaire. Au collège, un petit refrain m'a insidieusement pénétrée sans plus jamais me lâcher : "je fais ça pour mes parents, si ça ne tenait qu'à moi, je quitterais l'école". Bien sûr, c'était l'adolescence. On est toujours révolté contre ses parents à l'adolescence. On se dit toujours des choses absurdes.
Fuck, l'école c'est bien plus important.
Alors au lieu de m'imaginer reine des stades, j'ai bien dû déplacer le fantasme : être reine de l'école. Je me suis vue en mention TB, je n'ai eu "que" la B. Je me suis vue en admissible, je n'ai été "que" sous-admissible. Le plus ironique de tout ça, c'est que je sais avoir eu le niveau de tous ces putains de graal. Mais voilà, l'inconscient marche comme ça : pas de désir, pas de chocolat, et va crever si t'y croyais.
Bien sûr, depuis, j'ai eu le temps de comprendre qu'à vouloir être reine, des stades ou de l'école, on n'arrive qu'à l'insatisfaction. Le problème n'est pas d'avoir été couronnée. Il est d'avoir fait ce que je voulais ou pas : évidemment, je ne suis reine de rien, mais surtout, surtout, j'ai couru après la fabrique scolaire de la frustration.
Mais tout le monde sait bien que l'école, c'est tellement plus important que la frustration.
J'en ai énormément voulu à trois personnes pour lesquelles j'ai couru après les bonnes notes. J'ai voulu que ces trois personnes m'aiment pour mes résultats, j'ai voulu me grandir à leurs yeux, j'ai pensé leur faire plaisir. Ma mère, mon père, et le troisième, vous le connaissez. C'est celui pour qui j'ai cubé, en pensant que je réussirais le concours rien que pour ses beaux yeux. PM. Evidemment, j'ai passé mon temps en stratégies d'évitement et de contournement : j'ai commencé en Seconde à régulièrement foirer des devoirs pour cause de "bloquage" (mais qu'est-ce-que je fous ici ?), et j'ai foiré tous mes devoirs de spé histoire (mais putain il me saoûle à me surveiller), passer en L, aller en prépa cool, vouloir faire journaliste (bac+5) plutôt que vétérinaire (bac+8), et j'en passe. J'ai débordé d'imagination pour dire à l'école que je la trouvais...
... plus importante que tout, bien sûr.
Aujourd'hui, l'équation est simple. Je suis au pied d'un mur que j'ai tenté d'éviter toute ma vie : comment finir des études entre frustration et frustration ? La variable, c'est ma capacité à mourir pour faire ce dont je n'ai pas envie, une redite de la cube en somme. (là, en fond, Eminem chante en boucle "snap back to reality, oh there goes gravity"). Je crois qu'une des solutions de l'équation est le pardon. Comme toujours, mon fond chrétien à peine refoulé refait surface dans les moments de crise. Je devrais pardonner à ces trois personnes une faute qu'elles n'ont pas commise, et dont elles n'ont même pas conscience.
Le plus important, c'est d'avoir réussi à l'école grâce à eux.
Sauf que j'ai échoué. Non seulement, j'ai échoué à l'école, mais aussi à l'athlétisme et dans toutes ces autres vies que je me suis refusées au nom des études. Parce que la trouille de vivre ma propre vie a toujours pris le dessus. LaRage permanente est peut-être née là. Je continue de chercher son origine.
J'ai un secret : je déteste l'école.
Quand j'ai arrêté l'athlétisme, après l'avoir à peine commencé, j'ai lancé la fabrique de la frustration. Je ne peux même pas expliquer la sensation que j'avais quand mes pointes se connectaient sur le tartan de la piste, et pourtant j'ai tué l'envie. J'ai pris mes deux mains, un peu à reculons quand-même, et j'ai étranglé l'envie. Pas d'un coup, pas parfaitement (personne ne tue de sang-froid comme ça). De la 3e à la Terminale, à chaque rentrée, je démarrais les entraînements, pour les arrêter quelques mois, puis quelques semaines, plus tard. Non, tu vois, c'est pas possible, les entraînements c'est après l'école le soir, je suis trop fatiguée, c'est dommage mais c'est comme ça.
L'école, c'est le plus important.
A chaque compétition que je vois, je me joue la même chanson. Que je rêve à m'en déchirer l'intérieur d'être à la place de ces athlètes. Le pire moment fut celui des Mondiaux de 2003 à Saint-Denis : au milieu du chaos de cet été-là, je m'accrochais à ma télécommande. Tous les matins me voyaient calée sur le canap', absorbée par les images de ces athlètes qui "courent comme si le mauvais sort pouvait encore les rattraper". C'est Régis Wargnier qui a mis les mots sur cette obsession, dans un docu qui m'avait complètement fascinée. Je m'étais sentie reliée à ces trois portraits d'athlètes, par quelque chose de l'ordre de la folie douce, cette idée fixe du dépassement. La différence, c'est que j'étais excellente à l'école. Alors le dépassement, c'est par l'école qu'il devait passer [j'ai écrit "pas l'école" ahah].
L'école, c'est le plus important, non ?
A l'école primaire, je ne travaillais jamais. J'ai très peu de souvenirs concrets d'avoir fait mes devoirs, ou d'avoir appris une leçon. J'ai juste eu la chance de naître avec une mémoire (ou un désir) monstrueusement développée. Ma mère, mon père, l'une explicitement et l'autre pas, m'ont passé leur frustration de l'échec scolaire. Au collège, un petit refrain m'a insidieusement pénétrée sans plus jamais me lâcher : "je fais ça pour mes parents, si ça ne tenait qu'à moi, je quitterais l'école". Bien sûr, c'était l'adolescence. On est toujours révolté contre ses parents à l'adolescence. On se dit toujours des choses absurdes.
Fuck, l'école c'est bien plus important.
Alors au lieu de m'imaginer reine des stades, j'ai bien dû déplacer le fantasme : être reine de l'école. Je me suis vue en mention TB, je n'ai eu "que" la B. Je me suis vue en admissible, je n'ai été "que" sous-admissible. Le plus ironique de tout ça, c'est que je sais avoir eu le niveau de tous ces putains de graal. Mais voilà, l'inconscient marche comme ça : pas de désir, pas de chocolat, et va crever si t'y croyais.
Bien sûr, depuis, j'ai eu le temps de comprendre qu'à vouloir être reine, des stades ou de l'école, on n'arrive qu'à l'insatisfaction. Le problème n'est pas d'avoir été couronnée. Il est d'avoir fait ce que je voulais ou pas : évidemment, je ne suis reine de rien, mais surtout, surtout, j'ai couru après la fabrique scolaire de la frustration.
Mais tout le monde sait bien que l'école, c'est tellement plus important que la frustration.
J'en ai énormément voulu à trois personnes pour lesquelles j'ai couru après les bonnes notes. J'ai voulu que ces trois personnes m'aiment pour mes résultats, j'ai voulu me grandir à leurs yeux, j'ai pensé leur faire plaisir. Ma mère, mon père, et le troisième, vous le connaissez. C'est celui pour qui j'ai cubé, en pensant que je réussirais le concours rien que pour ses beaux yeux. PM. Evidemment, j'ai passé mon temps en stratégies d'évitement et de contournement : j'ai commencé en Seconde à régulièrement foirer des devoirs pour cause de "bloquage" (mais qu'est-ce-que je fous ici ?), et j'ai foiré tous mes devoirs de spé histoire (mais putain il me saoûle à me surveiller), passer en L, aller en prépa cool, vouloir faire journaliste (bac+5) plutôt que vétérinaire (bac+8), et j'en passe. J'ai débordé d'imagination pour dire à l'école que je la trouvais...
... plus importante que tout, bien sûr.
Aujourd'hui, l'équation est simple. Je suis au pied d'un mur que j'ai tenté d'éviter toute ma vie : comment finir des études entre frustration et frustration ? La variable, c'est ma capacité à mourir pour faire ce dont je n'ai pas envie, une redite de la cube en somme. (là, en fond, Eminem chante en boucle "snap back to reality, oh there goes gravity"). Je crois qu'une des solutions de l'équation est le pardon. Comme toujours, mon fond chrétien à peine refoulé refait surface dans les moments de crise. Je devrais pardonner à ces trois personnes une faute qu'elles n'ont pas commise, et dont elles n'ont même pas conscience.
Le plus important, c'est d'avoir réussi à l'école grâce à eux.
Sauf que j'ai échoué. Non seulement, j'ai échoué à l'école, mais aussi à l'athlétisme et dans toutes ces autres vies que je me suis refusées au nom des études. Parce que la trouille de vivre ma propre vie a toujours pris le dessus. LaRage permanente est peut-être née là. Je continue de chercher son origine.
J'ai un secret : je déteste l'école.
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