En primaire, je faisais des dictées sans faute, des contrôles que l'instit, de son propre aveu, ne prenait parfois même pas la peine de corriger. Le sans-faute. Un vrai singe savant.

L'entrée en 6e a été un peu désorientante. C'était un collège privé, non-mixte, "loin" de chez moi, chez les petites filles modèles, parce que mes parents avaient peur que le sans-faute ne devienne un lointain souvenir si j'allais au collège du quartier.
Vint le temps des premières dictées. 8/20 d'abord, 4/20 ensuite. Je me souviens des notes comme si c'était hier. Une vraie claque incompréhensible. Je dois encore avoir les feuilles quelque part dans mes boîtes d'archive du collège. Le sans-faute me semblait bien loin, reléguée que j'étais au fond de la classe orthographique.
Heureusement, dès la troisième dictée, je rattrapai cette horrible incartade : 18/20. A partir de là, je n'eus plus jamais une note inférieure à 16 en dictée de tout le collège.

Là où l'histoire devient marrante, c'est quand je compte le temps qu'il m'a fallu pour revenir au sans-faute de la primaire. En 6e, et je crois bien que ça s'est prolongé en 5e, je faisais toujours au moins une faute. La plus grossière possible, la plus idiote, parfois même juste une coquille, impossible à rater à la relecture, mais que je ratais pourtant. La prof avait fini par faire remarquer que "dans cette classe, vous n'aimez pas avoir 20" (ma pire-ennemie-de-toujours avait le même "problème").
Un jour, en 4e, j'ai eu 20/20 à une dictée. Elle était tellement belle, toute bleue, rendue comme je l'avais donnée à la prof, avec juste un petit chiffre rouge en haut. Parfaite. J'ai enchaîné ensuite les sans-faute, à l'exception des mots dont j'ignorais réellement l'orthographe.

Tout ça pour dire que dimanche soir, en plein repas familial, lorsque j'ai parlé de mon Café, que mon oncle en plaisantant a rappelé les espoirs de me voir Ministre et j'en passe, j'ai commencé à défendre l'utilité de mes études, avant que ma tante n'ajoute d'un air chafouin "Oui mais t'as foiré".
Alors, j'ai enfin eu la réaction que je rêvais d'avoir. J'ai rétorqué, d'un air non moins chafouin et en prenant toute la tablée pour témoins : "Voilà ce qui arrive quand on met trop la pression sur les gens, ils pètent un câble, c'est normal !"
C'est la seule réaction que je rêvais d'avoir, après avoir longtemps cherché à comprendre le dilemme d'une vie : se rêver toute-puissante, telle l'enfant-roi que j'étais, telle l'adolescente qui prend le relais de cette enfance, et pourtant se planter à des moments-clés, et pourtant tout faire pour esquiver les chemins du "pouvoir". La seule réaction due à la seule explication que j'aie trouvée pour le moment.

Le dilemme existe toujours, irrésolu pour une durée indéterminée. Le sans-faute nécessite une levée de barrières que je n'ai pas (encore ?) envie d'accomplir.

Il y a un temps pour tout et la vie est fort longue, ma foi.