J'ai relu des articles de mon ancien blog. Des morceaux de temps passé, de temps perdu, au sens où je ne pourrai jamais le retrouver. Sarah m'avait dit "Je dois faire le deuil de mon hypokhagne", un vendredi soir dans un métro, après la nouvelle de Maëlle admise à Rennes. Je m'étais violemment rendu compte qu'il me faudrait, moi aussi, faire ce deuil.
Et c'est un drame.

C'est un drame, parce que le temps continue de passer. J'ai à peine eu le temps de m'habituer à F. que je vais déjà devoir oublier ce lycée. J'ai à peine commencé à mettre de l'ordre dans ma tête et mon coeur que c'est de nouveau le bordel. J'ai à peine eu 18 ans (j'avais commencé à écrire "17", tiens), que je suis déjà en train d'imaginer l'anniversaire de mes 19 ans.
Merde, 19. Mais comment j'en suis arrivée là ?

Ca tourne, ça tourne, ça m'échappe totalement en réalité. Je crois avoir la main-mise sur ma vie, décider en reine ce que je veux ou pas, écraser du talon les mégots des histoires anciennes. Mais ce n'est qu'une image, une image idéalisée de ce que j'aimerais être. J'en suis tellement loin.
En réalité, je suis à genoux devant ce que je vis. Je supplie le temps de me laisser des miettes d'instants à vivre, des miettes avec elles, avec eux, avec tous ceux que j'aime. Parce que sed non satiata, ouais j'en hurle au vent de jamais en avoir assez. Je prie le tourbillon de la vie de m'emporter avec lui, de ne pas me laisser sur le pavé, alors qu'il aura emporté ceux que j'aime.
Je me traîne devant l'autel de mes sentiments, j'implore l'oubli de ces histoires avortées qui me poursuivent, je joins les mains, je tape du pied, je ferme les paupières en pensant que ça fermera mon coeur. Mais rien ne se passe.

Le temps passe toujours, je me traîne le boulet de mes histoires manquées, de ces elles et ces ils qui ne sauront jamais à quel point je les aimais, à quel point je les aime toujours. J'ai essayé de les oublier, pourtant, j'en fais le serment. J'ai même sacrifié ma lucidité à ces rois d'Epiphanie qui régnaient sur mon coeur. Mais tout au mieux je me suis aveuglée, sans rien changer à la réalité.
Ne pas voir l'évidence, ne pas voir les lambeaux d'eux qui s'accrochent désespérément à moi, c'était m'enfoncer un peu plus. C'était perdre la partie d'avance. Ou plutôt rejouer la partie sans fin. C'était en 3e ? Pas de problème, je continue de me demander ce qui se serait passé si je lui avais avoué. C'était en 1e ? La lutte contre moi-même continue, sans faille, sinon je tombe. C'était en Terminale ? Et alors, qui a dit que la terminale, c'est du passé ? Et je ne parle même pas de ce qui est plus récent.

Je n'ai pas le geste de clôture, ce geste royal qui, du revers de la main, balaie ces non-histoires qui parasitent ma mémoire. Je ne sais pas le faire, je n'ai pas la technique. Les personnes aimées s'accumulent sur mes pensées, les nouvelles ne chassent pas les anciennes, elles se trouvent toute une place dans ma tête, elle se donnent des coups de coude, elles se serrent, elles se montrent chacune leur tour, elles font 3 petits tours et puis s'en vont et puis reviennent.
Un monde d'aveux avortés fourmille en moi.

Chaque nouvelle année passe plus vite que la précédente, chaque anniversaire me rappelle davantage le temps qui passe. Pourtant, chaque nouvelle bougie devrait être un espoir en plus de pouvoir enfin ranger ma mémoire, faire le tri. Mais c'est le contraire qui se produit. Chaque jour, chaque photo, chaque chanson qui a compté ou compte encore, me rappellent un peu plus ce temps qui est passé.
Ce n'est pas en voulant effacer certaines personnes de ma mémoire, ce n'est pas en organisant ma prochaine année scolaire, ce n'est pas en prenant un ersatz de contrôle sur moi, que je mettrai une fin à toutes ces histoires.

Le temps qui passe n'effacera jamais rien, alors la solution est ailleurs. En attendant, qu'il me laisse le temps de vivre, le temps de profiter de ceux que j'aime et apprendre à oublier ceux que j'ai aimés, parce que je voudrais pas crever avec ces cadavres d'aveux sur le coeur.

Tout cette histoire
Est bien ancrée dans ma mémoire
Et si quelqu'un vient s'en mêler
Je crois que je vais craquer

(Louise Attaque)